Les débats houleux concernant l’accès à la PMA pour toutes les femmes ont tant mobilisés l’attention des parlementaires et de la population française que l’article 2 du projet de loi relatif à la bioéthique en est presque passé inaperçu. Pourtant, ses conséquences sociétales, notamment vis-à-vis des femmes, pourraient bien signer la fin d’un combat pourtant crucial : celui de pouvoir être à la fois mère et femme active.
Le constat du gouvernement était simple, sans doute même un peu trop. Depuis de nombreuses décennies, l’âge de la première grossesse recule. Le nombre de grossesses dites « tardives » (après 40 ans) est en constante augmentation : une naissance sur vingt est concernée. Or, si l’espérance de vie s’allonge, tel n’est pas que le cas de la fertilité, qui baisse drastiquement chez la femme à partir de 35 ans.
Pour pallier aux nombreuses désillusions provoquées par cette horloge biologique qui ne semble pas s’adapter aux lois du marché de l’emploi, le gouvernement a donc décidé de régler le problème à grands coups d’injections hormonales douloureuses et de prélèvements d’ovocytes, aux très nombreux effets secondaires. Plus aucune raison de reculer ses projets de grossesse pour favoriser ses projets professionnels, sa fertilité pouvant être conservée dans une grande cuve d’azote, payée en toute indépendance chaque année –car si le traitement hormonal et la ponction seront remboursés, telle ne sera pas le cas de la conservation elle-même, qui restera à la charge de la patiente.
Au-delà de l’inégalité flagrante que cela engendrera entre les femmes possédants des revenus suffisants pour se payer un tel joker biologique, et celles qui ne pourront pas compter dessus, la future loi produira exactement l’inverse de ce pour quoi elle a été pensé : partant d’un prétexte libertaire, elle en vient à flirter avec le liberticide.
Oui, les femmes qui le désirent doivent être libres de décider du moment auquel elle souhaite donner la vie, tout comme les hommes. Mais leur laisser croire que la seule possibilité de choix résulte dans le fait de retarder leur grossesse est un non-sens.
Si les femmes sont nombreuses à choisir de devenir mères de plus en plus tard, c’est parce que la société française, à l’heure actuelle, ne leur permet pas de concilier aussi bien que les hommes leurs vies professionnelles et familiales. Nombreuses sont celles qui craignent, et à très juste titre, de voir leur carrières soudainement freinées par la venue d’un enfant. Question que ne se pose que très rarement leurs homologues masculins, d’autant plus pour les postes à hautes responsabilités. Limiter les effets de l’horloge biologique ne résout donc pas le véritable problème, il ne s’agit que de l’occulter. Au lieu de prendre des mesures afin de tenter d’amorcer un changement des mentalités dans le monde du travail, mais également dans la sphère familiale pour une meilleure répartition des tâches concernant l’éducation des enfants, qui commencerait déjà par un allongement significatif et obligatoire du congé paternité, et une augmentation du nombre de places en crèches, le coupable idéal se trouve donc être encore une fois le corps de la femme, pas assez adaptable pour les exigences économiques et patronales.
A ce sujet, pour éviter des exemples de financement par les employeurs du procédé d’autoconservation, comme l’ont fait outre-Atlantique des géants de la Silicon Valley tel que Google et Apple, le projet de loi prévoit clairement que cette prise en charge au sein de l’entreprise sera interdite. Une réflexion nécessaire, mais loin d’être suffisamment protectrice. Face à la possibilité pour leurs employées de conserver leurs gamètes, il sera désormais plus difficile pour une femme active d’une trentaine d’années d’assumer sa grossesse « naturelle » face à un employeur qui se trouverait déjà récalcitrant à l’idée que des projets familiaux puissent contraindre ses calendriers. Beaucoup se verront reprocher d’avoir exercé leur droit le plus sommaire à un âge où tomber enceinte ne relève pas encore de l’exploit, alors qu’elles auraient très bien pu le faire plus tard. Les représailles pourraient être féroces, et la pression pour investir dans cette technique d’autoconservation se répandre dans le monde de l’entreprise. Il y aura celles qui voudront conserver leur image d’employées dévouées et fidèles à leurs sociétés, le plus longtemps possible, retardant leurs projets familiaux grâce à l’autoconservation, et celles qui, en toute connaissance de causes, privilégieront leur désir d’enfant encore facilement accessible au détriment de leur carrière. Un choix déjà répandu et inacceptable de nos jours, mais qui ne sera qu’accentué par la loi.
Paradoxalement, l’autoconservation des ovocytes est loin d’être une solution miracle pour tomber enceinte plus tardivement. Il suffit de regarder les chiffres pour s’en apercevoir. La fécondation in vitro, dispositif qui sera nécessairement mis en place lorsque la patiente souhaitera débuter sa grossesse, ne réussit que dans 30% des cas. Un chiffre ridiculement bas, au pays du bébé éprouvette. Pensons également au fait que les moyens manquent déjà cruellement alors que la loi est encore aujourd’hui restrictive sur le nombre de personnes pouvant bénéficier de ces techniques, à savoir les couples infertiles. Permettre à toutes les femmes d’accéder librement à l’autoconservation, c’est provoquer mécaniquement un rallongement de la prise en charge, y compris pour celles qui, de part leurs problèmes de santé avérés, en auraient réellement besoin pour devenir mères.
A ces peu de chances de résultats, s’accumulent les nombreuses complications liées à une grossesse tardive : les risques d’hypertension et de diabète pour la mère explosent, et le nombre de fausses couches et d’accouchements prématurés sont beaucoup plus nombreux à partir de la quarantaine, et la plupart du temps, les césariennes sont de rigueur. Sans compter l’énergie nécessaire que demande d’élever un enfant, que l’on possède moins à partir de quarante ans que dix ans plus tôt, alors que cette préoccupation est encore dans notre société principalement une affaire féminine.
De toute évidence, il est bien plus simple, et bien plus économique pour l’assurance maladie, mais également pour les femmes qui subissent encore l’inégalité salariale, d’avoir la libre possibilité de tomber enceinte naturellement et d’élever un enfant durant la trentaine que plus tard, sous pression professionnelle. Des femmes de pouvoir, de plus en plus nombreuses, nous démontrent que cela est possible : Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat sous l’ancien quinquennat, Rachida Dati ou encore Jacinda Ardern, première ministre de la Nouvelle-Zélande.
Preuve en est que le problème est structurel, et non pas purement biologique, comme l’on voudrait nous le faire croire. Le corps des femmes n’a pas être soumis à des calculs productivistes, tout comme les progrès techniques ne doivent en aucun cas supplanter les progrès sociaux. A charge pour notre génération de renverser la tendance que ne manquera pas de produire cette loi délétère contre le libre choix des femmes à disposer de leurs corps, en imposant celui, bien plus légitime, de mener de front, tout comme les hommes, vie professionnelle et vie familiale, à un âge où les deux restent encore cumulables.
Par Floria Labat
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